Kiné périnatalité : préparer, accompagner et transformer le corps des patientes - Interview de Nadia Talbi

Kiné périnatalité : le rôle du kiné avant l’accouchement – entretien avec Nadia Talbi

La grossesse transforme en profondeur la posture, la mobilité et l’organisation globale du corps. Le centre de gravité se déplace, les appuis changent, le diaphragme remonte, les ligaments deviennent plus souples, le périnée est en tension quasi permanente. Dans ce contexte, comment la kiné périnatalité peut-elle aider concrètement les patientes en cabinet libéral ? Comment un kinésithérapeute peut-il intégrer la périnatalité dans sa pratique quotidienne pour soulager les douleurs, accompagner la grossesse, préparer l’accouchement et faciliter le post-partum ? Nous avons posé ces questions à Nadia Tabet, kinésithérapeute à côté de Bordeaux, spécialisée en périnatalité. Ce sont ses propres grossesses qui l’ont amenée à se tourner vers la kiné périnatalité, en constatant à quel point les femmes enceintes manquaient d’informations, de repères et d’outils concrets pour vivre leur grossesse, préparer leur accouchement et récupérer après…

Kiné périnatalité : accompagner une transformation, pas seulement traiter une douleur

Comment présenteriez-vous la kiné périnatalité à un confrère ou une consœur ?

« Pour moi, la périnatalité, ce n’est pas juste faire un peu de rachis lombaire chez une femme enceinte », commence Nadia. La kiné périnatalité est pour elle une prise en charge globale, centrée sur la transformation du corps plutôt que sur un segment douloureux isolé. Elle insiste sur le fait que la périnatalité s’étend bien au-delà des neuf mois de grossesse : elle englobe la période avant la conception, la grossesse elle-même et un post-partum qui, selon les auteurs, peut s’étendre sur deux à trois ans, surtout quand les grossesses se succèdent.

L’objectif n’est donc pas uniquement de faire disparaître une douleur, mais de préparer le corps à traverser toute cette période dans les meilleures conditions.» Nadia parle d’un travail sur la posture, la mobilité du bassin, la respiration, le tonus du plancher pelvien, la condition physique globale, avec une intention double : soulager ce qui fait souffrir aujourd’hui, et éviter que ces troubles ne se majorent pendant la grossesse ou ne laissent des séquelles en post-partum. « Une prise en charge bien menée en kiné périnatalité, c’est une patiente qui vit mieux sa grossesse, qui arrive à l’accouchement avec un corps plus mobile, plus stable, plus conscient, et qui récupère plus facilement ensuite. »

Plus on commence tôt, plus on a de marge pour l’accouchement

À quel moment orienter une patiente vers la kiné périnatale ?

Nadia aimerait voir les femmes bien avant les grosses douleurs du troisième trimestre. Dans la réalité, beaucoup arrivent en fin de grossesse, avec un ventre déjà très volumineux, une fatigue importante, des douleurs de bassin installées et une mobilité réduite. À ce stade, on peut toujours aider, mais la marge de manœuvre est plus limitée. Elle rêve d’une prise en charge qui commence « dès le projet de grossesse » ou au moins dès l’apparition des premières gênes.

Commencer la kiné périnatalité plus tôt permet de travailler la mobilité du bassin, la stabilité lombo-pelvienne, la souplesse des hanches, la respiration, mais aussi la conscience périnéale avant que le ventre ne devienne trop encombrant. Cela donne le temps d’installer des habitudes de mouvement et de respiration que la patiente pourra conserver jusqu’au terme. « Je leur dis souvent : on ne prépare pas un marathon la veille. Pour l’accouchement, c’est exactement la même logique. Plus on anticipe, plus on peut protéger son dos, son bassin et son périnée. »

Douleurs de grossesse : ce que permet réellement la kiné périnatalité

Quelles sont les douleurs les plus fréquentes et que peut apporter la kiné périnatalité en pratique ?

Dans son cabinet, Nadia voit surtout deux grands types de douleurs : d’un côté les douleurs lombaires et sacro-iliaques, de l’autre les douleurs de symphyse pubienne. La relaxine augmente la laxité ligamentaire, ce qui rend les articulations plus mobiles. Cela est nécessaire pour l’accouchement mais aussi plus instables. La kiné périnatalité consiste alors à trouver un équilibre fin entre mobilité et stabilité.

Pour une douleur sacro-iliaque typique, qui irradie parfois vers la fesse ou la cuisse et peut mimer une sciatalgie, Nadia décrit un schéma de séance très reproductible : travail en décubitus latéral pour engager les stabilisateurs du bassin, mobilisation douce en rotation contrôlée, puis, si besoin, mise en place d’une ceinture positionnée au niveau du sacrum. La ceinture n’est pas une solution miracle, mais un « garde-fou » mécanique dans la vie quotidienne, pendant que le travail musculaire fait son effet.

Pour les pubalgies, elle se concentre sur la stabilité de la symphyse pubienne, en travaillant les adducteurs (par exemple avec un ballon à écraser entre les genoux), la mobilité des hanches, et en adaptant éventuellement la ceinture plus en avant, au niveau du pubis. Ce qui compte pour elle, c’est que la patiente reparte avec quelques exercices simples, faisables tous les jours, plutôt qu’une longue fiche théorique qu’elle ne mettra pas en pratique.

Périnée : apprendre à relâcher plutôt qu’à serrer en permanence

Comment le périnée est-il intégré dans un programme de kiné périnatalité pendant la grossesse ?

En kiné périnatalité, le périnée est une pièce maîtresse. Mais Nadia nuance immédiatement : « On pense souvent renforcement du périnée, alors que chez beaucoup de femmes enceintes, le vrai problème est un périnée qui ne sait pas se relâcher. Un périnée trop tonique, verrouillé, peut compliquer la descente du bébé, augmenter les tensions en post-partum et aggraver certaines douleurs pelviennes.»

Nadia commence donc par une phase d’éducation : expliquer où se situe le périnée, comment il soutient les organes, quelles zones musculaires et ligamentaires composent le plancher pelvien. Elle utilise beaucoup l’image et le toucher pédagogique, parfois avec un modèle anatomique. Ensuite, elle travaille la différence entre contraction et relâchement, souvent grâce à des images très concrètes (comme celle du « grappin de fête foraine » qui attrape puis relâche la peluche).

La respiration occupe une place centrale dans son approche. Le périnée est travaillé en synergie avec le transverse : à l’expiration, on imagine le périnée qui remonte et le bas-ventre qui se rapproche de la colonne, dans une dynamique d’auto-grandissement. À partir de 34 SA, elle introduit le massage périnéal, en détaillant la zone à masser, la pression, la durée, la fréquence, avec l’objectif que la patiente puisse s’approprier cet outil à la maison, en complément des séances. Pour Nadia, la plus-value de la kiné périnatalité est de rendre ce sujet concret, clair et dédramatisé, là où beaucoup de patientes découvrent leur périnée trop tard, seulement en post-partum.

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Respiration, diaphragme, essoufflement : un pilier de la kinésithérapie périnatale

En quoi la respiration fait-elle partie intégrante de la kiné périnatalité ?

Au fil des semaines de grossesse, l’utérus prend de plus en plus de place et repousse le diaphragme vers le haut. Les mouvements respiratoires deviennent plus limités, la cage thoracique se fige, la patiente a tendance à respirer de plus en plus en haut, avec des tensions cervicales et dorsales. Nadia consacre une partie significative de ses séances à redonner de la mobilité à la cage thoracique et au diaphragme.

Elle travaille la respiration abdominale, la conscience du ventre qui se gonfle à l’inspiration puis se relâche à l’expiration, la mobilité costale, les étirements du haut du dos. Elle aime également proposer des expirations avec résistance, par exemple en soufflant dans une paille ou dans un petit dispositif type Winner Flow, pour recruter le transverse sans sur-solliciter les grands droits. Ces exercices de respiration font partie de la boîte à outils de la kiné périnatalité : facilement reproductibles à domicile, utiles pour la gestion de l’effort pendant l’accouchement et pour la récupération post-partum.

Elle associe à cela des étirements spécifiques : auto-grandissement, ouverture thoracique, flexions et extensions douces de la colonne, rotations pour libérer le milieu du dos. « On voit très vite la différence, raconte-t-elle. À la fin d’une séance centrée sur la respiration et la mobilité thoracique, la patiente se tient différemment et respire déjà mieux. »

Activité physique et kiné périnatalité : bouger comme traitement à part entière

Comment articulez-vous activité physique et périnatalité ?

Pour Nadia, le message de la kiné périnatalité est clair : l’activité physique ne doit pas être perçue comme un bonus, mais comme une partie intégrante du traitement. Les recommandations actuelles encouragent environ 150 minutes d’activité physique modérée par semaine pendant la grossesse. Le rôle du kinésithérapeute est de faire le tri entre croyances, peurs et vraies contre-indications, et d’aider à adapter ce mouvement à chaque patiente.

Elle évalue la condition physique de la patiente, ses antécédents sportifs, ses douleurs, ses appréhensions. Plutôt que d’interdire par principe, elle cherche à adapter ce qui est déjà pratiqué. Une femme qui n’a jamais couru ne commencera pas le running à six mois de grossesse ; en revanche, une coureuse régulière pourra parfois poursuivre avec des aménagements, un suivi médical et kiné, et une écoute attentive des signaux du corps. Elle oriente volontiers vers la marche active, la natation, le yoga prénatal ou le Pilates adapté.

La kiné périnatalité permet également de corriger des idées reçues très ancrées, comme « enceinte = ne rien faire ». En expliquant les bénéfices de l’activité physique sur les lombalgies, la circulation, le sommeil, l’humeur, le stress et même le risque de dépression post-partum, Nadia observe une meilleure adhésion aux programmes d’exercices. Le mouvement devient alors un outil thérapeutique à part entière, au même titre que les techniques manuelles ou la rééducation périnéale.

Thérapie manuelle et périnatalité : une place ciblée, jamais exclusive

Quelle est la place de la thérapie manuelle dans la kiné périnatalité ?

Nadia pratique la thérapie manuelle de manière ciblée. Elle s’en sert pour débloquer une zone trop contractée, libérer un diaphragme très figé, soulager un bassin trop douloureux pour être mobilisé d’emblée par des exercices actifs, ou encore pour drainer des membres inférieurs très œdématiés. Elle apprécie particulièrement la thérapie manuelle viscérale pour travailler le petit bassin, quand c’est pertinent, tout en restant dans une approche douce.

Nadia insiste cependant sur un point : la kiné périnatalité ne repose pas sur des techniques agressives. Pas d’ondes de choc, pas d’électrostimulation abdominale, pas de gestes invasifs sur la région abdomino-pelvienne qui pourraient être inconfortables ou inadaptés dans le contexte de la grossesse. La priorité reste la sécurité de la mère et du fœtus, avec des gestes précis, adaptés, respectueux des tissus. La thérapie manuelle est pour elle un complément au travail actif, et non le cœur de la prise en charge.

Développer la périnatalité en libéral : le conseil de Nadia Tabet

Quel conseil donneriez-vous à un kiné qui souhaite développer une activité en périnatalité ?

Pour Nadia, la première étape est claire : il faut se former sérieusement à la kiné périnatalité. Comprendre les adaptations physiologiques de la grossesse, les spécificités des douleurs pelviennes, les enjeux du périnée, du transverse, de la respiration, ainsi que l’impact réel de l’activité physique demande un socle théorique solide et une mise à jour régulière des connaissances.

Ensuite, il faut accepter que la kiné périnatalité soit autant éducative que technique. Une grande part du travail consiste à expliquer ce qui se passe dans le corps, à corriger des croyances, à donner des repères sur la mobilisation du bassin, la posture, la gestion de la pression intra-abdominale, les bons réflexes pour le périnée et les abdos, dès la grossesse et surtout en post-partum.

Selon elle, la force de la kiné périnatalité, c’est de pouvoir offrir aux femmes trois choses essentielles :

  • des explications claires sur ce qui se passe dans leur corps ;
  • des exercices simples, ciblés, réalisables dans le quotidien, plutôt que des protocoles complexes ;
  • des repères concrets pour l’accouchement et la récupération post-partum.

« Une patiente qui a bénéficié d’une bonne prise en charge en kiné périnatalité arrive à l’accouchement avec plus de confiance, une meilleure conscience de son corps, et récupère souvent plus vite, avec moins de douleurs et moins de craintes. Pour moi, c’est le meilleur indicateur que la kiné périnatalité a vraiment sa place dans nos cabinets. »

Et vous, en tant que kiné libéral, quel serait votre premier pas concret pour faire de la kiné périnatalité un axe fort de votre pratique : structurer un bilan spécifique, proposer un créneau dédié « projet de grossesse », ou commencer par vous former et vous rapprocher des sages-femmes et gynécologues de votre secteur ?

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