Publié le 19 septembre 2023 • Lecture 6.5 min • 775 vues
Le post-partum, ce n’est pas “quelques semaines de récupération” avant un retour à la normale. C’est une période où vos patientes cumulent souvent douleurs, fuites urinaires, diastasis, fatigue extrême, charge mentale, difficultés sexuelles et fragilité psychique, trop souvent résumées à un simple « c’est normal après un accouchement ». En tant que masseur-kinésithérapeute libéral, et si vous transformiez ces suites de couches en un véritable parcours de soins structuré, qui redonne à vos patientes du confort, de la confiance… et du pouvoir d’agir sur leur corps ?
Post-partum : de quoi parle-t-on réellement en 2026 ?
Le post-partum ne se résume pas aux quelques jours qui suivent la naissance : il s’étend au minimum sur les six premières semaines, et s’inscrit en fait dans une période plus large où l’organisme, la vie familiale et la santé mentale se réorganisent.
Depuis le 1ᵉʳ juillet 2022, l’Entretien post-natal précoce (EPNP) est devenu obligatoire en France, à réaliser entre la 4ᵉ et la 8ᵉ semaine après l’accouchement, par un médecin ou une sage-femme. Cet entretien vise explicitement à repérer les premiers signes de dépression du post-partum ou les facteurs de risque. Les données de Santé publique France et des sociétés savantes indiquent qu’en 2021, la prévalence de la dépression post-partum en France était d’environ 16,7 % des femmes, soit près d’1 mère sur 6.
À côté de la sphère psychique, la sphère physique est massivement impactée. Les recommandations de l’ANAES/HAS sur la rééducation post-partum décrivent :
Dans ce contexte, votre cabinet devient un lieu rare où l’on prend le temps de regarder le corps dans sa globalité et d’écouter le vécu. C’est déjà un acte thérapeutique en soi.
Parcours post-partum en France : où se situe la kinésithérapie libérale ?
En 2025, le parcours type post-partum en France s’articule autour de trois temps forts :
Un suivi à domicile par une sage-femme dans les premiers jours, pris en charge par l’Assurance Maladie, pour surveiller la mère et le nouveau-né.(Ameli)
L’EPNP obligatoire entre la 4ᵉ et la 8ᵉ semaine, centré sur le vécu, la fatigue, les émotions, la vie de couple et le repérage de la dépression post-partum.
La consultation médicale post-natale, entre 6 et 8 semaines, au cours de laquelle sont abordés les suites obstétricales, la contraception, mais aussi la prescription éventuelle de rééducation périnéale et/ou abdominale.(1000-premiers-jours.fr)
L’ARS Bretagne, qui a publié en 2024 un document très pédagogique sur le parcours post-partum, insiste sur le fait que la rééducation du périnée est proposée à toutes les femmes, quel que soit le mode d’accouchement, à partir d’environ 6 semaines. Elle peut être réalisée par une sage-femme ou un masseur-kinésithérapeute et est remboursée à 100 % par l’Assurance Maladie dans ce contexte.
Recommandations HAS / CNGOF : indications de la rééducation post-partum
Les recommandations françaises restent un socle important pour justifier et cadrer votre prise en charge :
Les exercices du plancher pelvien améliorent la force musculaire et diminuent l’incontinence urinaire d’effort (grade C).
La rééducation périnéale du post-partum est recommandée pour traiter une incontinence urinaire persistante et une incontinence anale du post-partum.
La rééducation post-partum doit être abordée de manière globale, en associant prise en charge périnéale, pelvi-rachidienne et de la sangle abdominale, sur la base d’un bilan individualisé.
Il est recommandé d’être prudent avec l’électrostimulation en post-partum immédiat en cas de doute sur l’intégrité nerveuse, car elle pourrait retarder la régénération.
En parallèle, la HAS a publié en 2019 un référentiel de prescription d’activité physique pendant la grossesse et en post-partum, qui recommande de maintenir ou de reprendre une activité physique régulière, adaptée, pour bénéficier d’effets protecteurs sur la santé physique et mentale.
Dans ce paysage, le kinésithérapeute libéral occupe une place stratégique : il ou elle intervient souvent après la consultation post-natale, parfois en lien avec la sage-femme, et peut proposer un parcours de rééducation qui va bien au-delà de 10 séances “standard”.
Bilan kinésithérapique post-partum : voir large, écouter finement
Un bilan post-partum vraiment pertinent dépasse la simple question “Avez-vous des fuites ?”. Il s’agit de cartographier la vie de la patiente :
Vous pouvez explorer, dans un temps d’échange sans jugement :
le déroulement de la grossesse et de l’accouchement (durée de la phase d’expulsion, poussées, instruments, césarienne, lésions périnéales) ;
la présence de douleurs (périnéales, cicatricielles, lombaires, sacro-iliaques, pubalgies), leur intensité et leur retentissement fonctionnel ;
les troubles urinaires et anorectaux : fuites à l’effort, urgences, difficultés à différer, constipation, sensations de pesanteur ou de “boule” vaginale ;
la fatigue, la qualité du sommeil, le contexte de vie, la présence ou non d’un entourage soutenant ;
la sexualité : appréhension, douleurs, sécheresse, peur de la pénétration, baisse de désir ;
Dans ce cadre, vous n’êtes pas psychothérapeute, mais vous êtes légitime pour :
repérer les signaux d’alerte d’une dépression post-partum (fatigue extrême, perte d’intérêt, pleurs fréquents, idées noires) ;
orienter vers le médecin, la sage-femme ou une psychologue périnatale ;
rappeler l’existence de l’EPNP et des ressources des 1000 premiers jours.
Examen clinique : périnée, abdos, rachis, posture… et respiration
Les recommandations HAS décrivent un bilan qui doit explorer au minimum trois axes : plancher pelvien, sangle abdominale, rachis/ceinture pelvienne.
En s’appuyant dessus vous pouvez structurer votre examen autour de :
L’abdomen et le diastasis : palpation de la ligne blanche, mesure de l’écartement (en centimètres ou en “doigts”), évaluation de la tonicité du transverse. Il est important de se baser sur les doigts de la patiente pour qu’elle puisse s’auto-évaluer, et de ne pas dramatiser un diastasis en post-partum immédiat, physiologique dans bien des cas, tout en expliquant comment bien gérer les pressions.
Le plancher pelvien : trophicité, cicatrices, force, endurance, capacité de relaxation, douleurs à la palpation, éventuelle hypertonie (souvent sous-estimée), ressenti de descente d’organes. Là encore, l’information et le consentement sont essentiels.
La statique pelvi-rachidienne : bassin instable (pubalgies, douleurs sacro-iliaques), hypercyphose liée au portage et à l’allaitement, épaules enroulées, tête projetée en avant. Il est très fréquent de femmes qui passent leurs journées à porter leur bébé, avec un transverse inefficace, un périnée fatigué et des compensations posturales massives.
La respiration : type respiratoire, mobilité costale, capacité à synchroniser périnée + transverse à l’expiration, utilisation d’images (fermeture éclair, pantalon trop serré) pour faciliter le recrutement profond.
Ce bilan n’est pas “du temps en moins pour traiter”. C’est ce qui vous permet de proposer une rééducation vraiment individualisée, adaptée à la temporalité de la patiente (6 semaines, 6 mois, 2 ans après) et à ses priorités : continence, douleur, image corporelle, sport, vie sexuelle.
Rééducation post-partum : dépasser le cliché des “10 séances de périnée”
les exercices de renforcement du plancher pelvien guidés par un thérapeute réduisent de manière significative les symptômes d’incontinence urinaire du post-partum ;
la rééducation périnéale du post-partum est particulièrement indiquée quand les fuites persistent à 3 mois ou lorsqu’il existe une incontinence anale ;
l’efficacité à long terme repose sur la combinaison de techniques (exercices volontaires, biofeedback, travail global abdomino-lombo-pelvien), plutôt que sur l’utilisation d’une seule modalité.
Cependant, ces recommandations laissent volontairement de la souplesse : il n’existe pas de protocole “clé en main” valable pour toutes. Votre rôle est justement de construire le bon dosage.
De la théorie à la pratique : quelques repères concrets
Les retours du terrain, sont précieux pour passer de la recommandation au geste :
Ne pas attendre 6 à 8 semaines pour tout : même si la rééducation périnéale instrumentale débute habituellement après la consultation post-natale, vous pouvez prendre en charge très tôt la douleur, la posture, la respiration, la gestion des pressions et le confort pour le portage / l’allaitement.
Rappeler qu’une goutte est déjà une fuite : beaucoup de femmes minimisent les petites pertes. Les informer que ce n’est pas “normal” à distance de l’accouchement permet de légitimer la rééducation et d’éviter la chronicisation.
Refuser la dissociation artificielle périnée / abdos : la pratique sur le terrain confirme ce que disent les textes : périnée et transverse travaillent ensemble. Travailler l’un sans l’autre, avec deux thérapeutes différents, est une aberration clinique qui peut laisser des zones d’ombre.
En termes d’organisation, l’expérience partagée parle d’une à deux séances par semaine, de 20 à 30 minutes selon la fatigue, sur environ 10 séances, avec possibilité de prolonger si les symptômes persistent (fuites, prolapsus débutant, douleurs, diastasis gênant).
L’enjeu, pour vous, est de faire comprendre à vos patientes que la rééducation n’est pas une série de séances “consommées”, mais un processus de reconstruction, où les exercices à domicile, les ajustements du quotidien et la reprise du mouvement ont autant d’importance que le temps passé en cabinet.
Sangle abdominale, rachis et ceinture pelvienne : la clé de la rééducation globale
Les recommandations HAS soulignent que la sangle abdominale est fortement altérée en post-partum et que le diastasis des grands droits persiste chez près d’une femme sur deux à court terme. La faiblesse du transverse et des fléchisseurs du tronc, associée à l’hyperlaxité et aux changements hormonaux, favorise l’apparition de douleurs lombaires et pelviennes.
Votre prise en charge peut alors intégrer :
un travail de recrutement du transverse en douceur (souvent en décubitus au départ), couplé à la respiration et à la contraction périnéale ;
des exercices d’auto-grandissement et de correction posturale, en lien avec les gestes du quotidien (portage, change, bain, allaitement) ;
un renforcement progressif de la ceinture pelvienne (fessiers, adducteurs, muscles stabilisateurs), en veillant à ne pas surcharger un bassin encore “entorsé” par l’accouchement ;
un travail de mobilisation et de détente du diaphragme, notamment via des fausses inspirations thoraciques dosées pour éviter l’hyperventilation chez des patientes déjà très fatiguées.
Un point clé à intégrer dans votre discours : l’objectif n’est pas forcément de “fermer” complètement le diastasis, mais d’obtenir une bonne gestion des pressions et un confort fonctionnel acceptable. Là encore, la pédagogie est essentielle pour sortir vos patientes des injonctions parfois anxiogènes diffusées sur les réseaux sociaux.
Reprise de l’activité physique et du sport : le kiné comme chef d’orchestre
Recommandations internationales et françaises
Les lignes directrices de l’OMS (2020, mises en avant par plusieurs organismes français) recommandent aux femmes enceintes et en post-partum de viser au moins 150 minutes d’activité physique aérobie d’intensité modérée par semaine, associées à des exercices de renforcement musculaire, en l’absence de contre-indication médicale.(Azur sport santé)
En France, le référentiel HAS 2019 sur la prescription d’activité physique en post-partum, ainsi que des ressources pédagogiques comme le guide du ministère des Sports “Pratique sportive pendant la maternité”, insistent sur une reprise progressive, adaptée à l’état de récupération périnéale et abdominale, en privilégiant d’abord les activités à impact limité.
Des sites d’information validés pour le grand public relayent aujourd’hui clairement ces repères : continuer ou reprendre une activité physique régulière pendant le post-partum réduit le risque de dépression, de prise de poids excessive et améliore la qualité de vie.
Comment structurer le retour au mouvement avec vos patientes ?
En pratique, vous pouvez proposer une progression par étapes, en fonction :
de la date d’accouchement ;
de l’évolution des symptômes (fuites, lourdeurs, douleurs, fatigue) ;
des objectifs de la patiente (simple confort, reprise du running, sport de saut, travail physique…).
Votre valeur ajoutée est de traduire les recommandations en consignes concrètes :
expliquer qu’avant d’envisager la course à pied, il faut un périnée sec, une sangle abdominale fonctionnelle et l’absence de lourdeur pelvienne après l’effort ;
montrer des exercices simples que la patiente peut intégrer dans son quotidien (respiration avec activation du transverse, auto-grandissement, mobilisation du bassin pendant qu’elle berce son bébé) ;
aider à dosera l’intensité : “si après l’activité vous avez des fuites, une lourdeur, ou une douleur qui perdure au-delà de 24 heures, c’est que l’on est allé trop vite”.
En posant ces repères, vous devenez le chef d’orchestre du retour au mouvement, en évitant les extrêmes : immobilisme total par peur de “se faire mal” d’un côté, reprise trop rapide d’activités à fort impact de l’autre.
Construire, au cabinet, un véritable parcours post-partum de kinésithérapie libérale
Pour transformer votre pratique, vous pouvez structurer votre offre en plusieurs temps, facilement compréhensibles pour les patientes et les prescripteurs. Par exemple :
Séance “check-up post-partum” (à partir de 6–8 semaines, ou plus tard si la patiente arrive tardivement). Bilan complet périnée–abdos–rachis–posture–respiration–sexualité–humeur. Mise à plat des inquiétudes, premiers conseils concrets.
Cycle de rééducation globale (10 séances en moyenne, à adapter). Travail combiné périnée + transverse + bassin + ceinture scapulaire. Intégration systématique des gestes de la vie quotidienne (portage, allaitement, maison, reprise du travail).
Suivi “retour au sport”. Séances espacées (par exemple tous les 15 jours) pour accompagner la progression des charges, contrôler les symptômes, réajuster le programme, rassurer.
Lien avec le réseau périnatal. Échanges avec les sages-femmes, les médecins généralistes, les gynécologues, les PMI de votre secteur, participation à des réunions de réseau ou à des actions d’éducation à la santé sur le post-partum. Les publications récentes sur l’EPNP et le parcours des 1000 premiers jours montrent que la dimension pluridisciplinaire est devenue une priorité de santé publique.(static.cnsf.asso.fr)
Vous pouvez également réfléchir à la façon de présenter cette offre à vos patientes. Page dédiée sur votre site, fiche explicative en salle d’attente, collaboration avec une sage-femme pour organiser des ateliers collectifs “post-partum et mouvement” maman-bébé.
Faire du post-partum une opportunité de santé à long terme
En 2025, les connaissances scientifiques et les politiques de santé convergent. Le post-partum est une période à risque, mais aussi une fenêtre d’opportunité pour agir sur la continence, la posture, la douleur, la santé mentale et le rapport au corps. Les recommandations de la HAS, du CNGOF, de l’OMS et les dispositifs français (EPNP, 1000 premiers jours, parcours post-partum des ARS) vous donnent un cadre solide pour intervenir.
En tant que masseur-kinésithérapeute libéral, vous avez des atouts uniques :
une expertise biomécanique pour articuler périnée, sangle abdominale, rachis et ceinture pelvienne ;
un temps de consultation qui permet de repérer la détresse psychique, de normaliser certains symptômes transitoires et d’orienter si besoin ;
la capacité de construire un parcours structuré, de la grossesse au post-partum tardif, qui redonne aux femmes le sentiment de pouvoir agir sur leur corps.
En faisant passer le message que “le post-partum ne se traverse pas seule, et qu’il n’est jamais trop tôt ni trop tard pour consulter”, vous contribuez à transformer cette période souvent vécue comme chaotique en véritable temps de reconstruction : physique, fonctionnelle et identitaire. C’est là que la kinésithérapie post-partum peut devenir, pour vos patientes, un tournant durable dans leur santé et leur qualité de vie.
Si le sujet de la périnataliét vous interesse nous avons toute une série de conférence en ligne gratuite sur le sujet :